Oui, bon, c'est du Faudel. C'est pas du tout le genre de musique que j'ai l'habitude d'écouter, mais celle-ci réveille beaucoup de choses en moi.
Comme je l'ai déjà mentionné ici, j'ai un bagage culturel et génétique assez dense. Et même si ma famille ne l'a jamais accepté, je me suis sentie marocaine avant de me sentir française.
Je n'y suis pas née, ce n'est pas non plus la terre qui a soutenu mes premiers pas, mais c'est celle qui abrite mes premiers souvenirs.
Les graines de tournesol salées, mes ami-es, ma meilleure amie, cette grande école et ses élèves tous-es différent-es, ma nourrice, le caméléon, les tortues du jardin, les chats, l'odeur du foin et des chevaux, le Crieur, le muezzin en haut du minaret, le parfum du thuya, le thé, la mante-religieuse, manga-TV, l'araignée géante du placard, les collections de pierres...
Et mes premiers questionnements spirituels. Le catéchisme d'un côté, entre les arbres et les coloriages religieux; et le dieu que prie tout ce pays, dont je me sens plus proche.
Et les contes, les légendes, les djinns, ces esprits locaux que je perçois déjà, si bienveillants...
Et encore un changement de continent. Le troisième. Je dois m'adapter à ce pays qui est sensé être le mien mais que je connais si peu. Les esprits me semblent beaucoup plus sombres dans ma campagne. Comme une mère louve : aimante, mais stricte.
Et d'autres souvenirs s'ajoutent. Les têtards, le sanglier, la forêt, la nuit si angoissante, les chouettes et chauve-souris, le chien, le même chat, le cognassier...
Ce dieu que je délaisse : ces potions d'enfant, les esprits, le rond de sorcière, prennent peu à peu sa place.
En ce moment, mes affinités spirituelles, mes gênes, et mes souvenirs, se disputent. Je suis qui ? Je viens d'où ? Comment faire pour accorder toutes ces cultures sans me sentir illégitime ? J'entends beaucoup parler d'appropriation culturelle en ce moment. Et ça me perturbe. J'ai grandit en Chine et au Maroc mais je n'ai d'origine dans aucun de ces pays pays : c'est de l'appropriation culturelle de m'y sentir apparentée ? J'ai des origines au Japon mais j'y ai jamais foutu les pieds, c'est de l'appropriation culturelle là aussi ? Et toutes ces cultures qui m'appellent si fort et avec qui je n'ai aucun lien, c'est de l'appropriation culturelle ?
Mon panthéon et mes croyances sont dispatchés entre tout ces pays, et même si je voulais pratiquer "la religion de mes ancêtres", je n'aurais pas d'autre choix de faire de l'éclectisme.
Je suis perdue.
Je ne regretterais jamais d'avoir autant de cultures dans ma caboche, ça m'a permis de me sentir terrienne avant tout, et partout chez moi. Mais c'est parfois dur à assumer dans un monde et une communauté où on attend des autres qu'ils s'identifient clairement à une tradition, à une culture, et où l’éclectisme est parfois mal-vu.
Alors je vais décider de m'en foutre : j'écoute mon cœur, mon sang, et ma mémoire. Hiérarchiser ces trois aspects me semble trop absurde.